Karaté avec Pascal Lecourt, sur la voie de Kase

Nous vous invitons à découvrir un entretien avec Sensei Pascal Lecourt, qui a suivi pendant près de 30 ans l’enseignement de Maître Kase, et a été son assistant. Sensei Taïji Kase est une figure emblématique du Karaté-Do, avec une personnalité et un style bien à lui, ayant formé grand nombre de karatéka dans le monde entier. Il nous a quitté en novembre 2004.

Sensei Pascal Lecourt - Stage à Colombes (2016)

Récemment élevé au grade de 7ème dan, Pascal Lecourt dispense de nombreux séminaires en France et à l’international, en suivant la “Voie” et la méthode “Kase”. Depuis plusieurs années, nous avons le plaisir de l’accueillir lors de stages au Karaté Club Colombes.

Interview réalisée par Antonio Guerrero – Janvier 2017

Antonio Guerrero : Bonjour Pascal. Tout d’abord, je tiens à te remercier de m’avoir accordé cet entretien. Pour ceux qui ne connaissent pas ton parcours, peux-tu nous dire quand et comment tu as démarré le karaté, et qu’est-ce qui t’a attiré dans cette discipline ?
Pascal Lecourt : J’ai commencé la pratique du karaté do en 1975. C’est l’âge d’une adolescence souvent perturbée, et surtout perturbante pour la plupart des jeunes adultes qui rêvent de liberté. J’étais un enfant “instinctif” et j’avais besoin d’action. Après trois ans de judo, j’ai choisi de pratiquer le karaté do, qui me semblait plus proche de mes aspirations. J’ai découvert par la pratique tout ce dont j’avais besoin : réalisme dans l’action, contrôle, discipline, apprentissage et connaissance de soi.

La rencontre avec Sensei Kase

Stage au Dojo de Rouen (1996)AG : Quels ont été tes professeurs, et comment as-tu été amené à rencontrer Maître Kase ?
PL : C’est avec Senseï Gerald Dumont, élève de Senseï Kase, que j’ai fait mes premiers pas. En Juin 1976, un an après mes débuts en karaté, Senseï Dumont quitta la Normandie, pour s’établir définitivement en Bretagne. Je me suis donc naturellement tourné vers les stages que Senseï Kasé donnait deux fois par mois dans différentes villes de France. Le choix du Maître était évident pour moi. Je ne devais plus jamais le quitter.

AG : Comment étaient les stages et les entraînements, par rapport à aujourd’hui ?
PL : Il est difficile d’imaginer les efforts déployés à cette époque, par un adolescent, de voyager à travers le pays, parfois en scooter ou en auto-stop pour aller “souffrir” pendant quelques heures. J’ai d’étranges souvenirs qui ont marqué cette période. Tout d’abord, la douleur physique que je ressentais à chaque stage, mais aussi l’admiration pour mes “sempaï”, leur puissance, leur technique, l’énergie et la cohésion du groupe autour du maître me donnait l’énergie de continuer. J’ai vu l’un d’entre eux casser un makiwara au cours d’un stage.
Senseï Kasé faisait également venir en France d’autres experts comme : Senseï Enoeda, Senseï Shiraï, Senseï Myazaki, Senseï Naïto ou d’autres instructeurs japonais, lors de stages à Annecy, Royan, Limoges, Tours, Fréjus ou Paris… J’allais d’un stage à l’autre et l’entraînement était de plus en plus dur.
Après mon passage de 1er dan en 1979, je participais aux stages de Crystal Palace (près de Londres), et jusqu’au milieu des années 80. Je me souviens d’une année, lors de combats libres, les 1er et 2e dan étaient alignés en deux vagues successives et devaient attaquer les plus hauts gradés. Nous étions comme sur un champ de bataille ! Les passages de grade étaient également très violents et nous passions devant les maîtres : Kase, Enoeda, Shiraï, Tabata et d’autres Sensei japonais qui tous nous impressionnaient.

Sensei Pascal Lecourt - Yoko Tobi Geri (1984)
Sensei Pascal Lecourt – Yoko Tobi Geri (1984)

AG : As-tu eu l’occasion de pratiquer le karaté au Japon, et si oui, comment était-ce ?
PL : Les seuls entraînements que j’ai eu le privilège d’avoir au Japon sont ceux que le Maître m’a donnés en privé à la fin des années 80, dans son petit dojo personnel qu’il avait construit après guerre dans son jardin. Mais de cela je ne parlerai pas…

AG : Peux-tu nous dire ce tu retiens de son enseignement et de l’homme qu’il était ?
PL : Les valeurs que Senseï Kasé prônait dans la vie comme dans son karaté lui permettaient d’être indépendant, et ses choix n’étaient dictés que par ses convictions, sans concession pour les intérêts politiques ou financiers. Ce qui faisait de lui un Maître en marge des institutions. C’était un homme libre, généreux et droit. C’est toujours aujourd’hui une source d’inspiration dans mes choix…

AG : Pour ceux qui ne l’ont pas connu, as-tu une anecdote à partager avec nous au sujet de Maître Kase ?
PL : Celle qui me vient à l’esprit pour illustrer la définition d’un homme, spontané et rigoureux, se déroule lors d’un retour de stage au Portugal. Senseï me demanda à quelle heure était mon vol retour à Paris et me dis, alors qu’il coïncidait avec le sien, que nous allions voyager ensemble : “chanceux” me dit-il avec un large sourire. Dans la salle d’embarquement de l’aéroport nous discutions du stage que nous venions de terminer, et de toute sorte de sujets : la vie, les hommes, la pratique… Puis il me parla du kata Wankan que nous avions étudié et il voulait me donner des explications en détail sur les techniques et les spécificités du kata. Quand le moment de l’embarcation arriva il continua à m’expliquer différents détails, puis poursuivi encore dans le bus qui nous amenait au pied de l’avion. Tous les passagers en sortirent et nous étions les deux derniers. Il continuait ses explications comme si de rien n’était, et à ma grande surprise, et celle des hôtesses de l’air, Senseï Kasé commença à exécuter le kata Wankan sur le tarmac. J’étais à côté de lui et je le regardais en train de faire le kata au pied de l’avion sous les yeux étonnés et les sourires amusés des passagers et des hôtesses. Une atmosphère irréelle se dégageait de cette scène. Je décidais alors de lui montrer le passage de Wankan qu’il voulait m’expliquer en profondeur il me dit que c’était correct, alors nous avons repris le cours normal de notre voyage, comme si rien ne s’était passé.

Le style “Kase Ha”

DVD Pascal Lecourt - Les fondamentaux du Karaté Do Shotokan Ryu Kase-HaAG : Peux-tu expliquer les spécificités du style “Shotokan Ryu Kase Ha” aux lecteurs qui ne le connaîtraient pas ?
PL : L’école Kasé Ha se caractérise avant tout par un style plus libre dans son expression, c’est pourquoi le fudo-dachi est la position de référence de notre style. Elle est à la fois puissante, basse, fluide et libre, permettant une grande stabilité et un parfait contrôle du corps notamment pour l’utilisation des mécanismes de hanches. Senseï Kasé a développé des techniques de mains ouvertes défensives et offensives, basées sur l’utilisation du Katana des samouraïs et notamment de “l’école des deux sabres” de Miyamoto Musashi. L’école Kasé Ha apporte également quatre grands principes respiratoires, eux-mêmes déclinés en différents courants.
Les Henté (attaques et/ou défenses du même bras) ainsi que les différents angles de blocages ou les différents principes de “timing” dans l’action modifiant l’intervention ou l’initiative en fonction des différents contextes ou approches du kumité, sont typiques de notre école.
Les déplacements circulaires (Taï no sen) font partie des grands principes Kasé Ha. Pied avant ou arrière, tous les degrés de rotation, de pivot en avançant, en reculant ou sur place sont étudiés, donnant ainsi accès à un total contrôle de l’espace qui nous entoure.
Mais l’énergie et l’esprit de détermination, indispensables dans le Budo comme dans la vie quotidienne, sont les principales sources vives de l’école du Maître. Vous pouvez d’ailleurs retrouver les principes de base de l’école Kasé-Ha dans mon DVD que vous trouverez en vente sur mon site : www.lecourtpascal.fr

AG : Quelles sont les particularités concernant l’étude des katas ?
PL : Les quatre formes : Bunkaï, Bunkaï kumité, Oyo et Oyo kumité, sont étudiées selon les différents stades de maturité du pratiquant. Les deux premières formes s’étudient durant la période d’initiation qui est d’environ 10 ans. Dans l’application des kata, la forme Oyo traduit la liberté d’interprétation et d’expression. C’est-à-dire l’adaptabilité à l’adversaire. Senseï Kasé m’a dit un jour que l’une des significations de “Oyo” était, par exemple, que lors d’une attaque (quelle qu’elle soit) nous devions utiliser le bon enchaînement (pas nécessairement dans l’ordre chronologique) venant du kata avec lequel nous nous entraînions afin de s’adapter à l’adversaire. Ou bien d’utiliser instantanément un enchaînement de techniques venant de n’importe quel autre kata, si le thème de travail correspondait à cette demande.
Une autre signification nous permet d’utiliser des déplacements différents de ceux que le kata propose (notamment avec des esquives), ou bien encore d’utiliser les formes ura, go ou go ura pour répondre aux attaques de l’adversaire afin de le déstabiliser, ralentir ou stopper sa progression. Enfin de trouver des applications différentes des standards Bunkaï.
Le but ultime des formes Oyo et Oyo kumité est la totale liberté d’expression, l’instantanéité de nos choix, leurs richesses et surtout l’adaptabilité à l’adversaire, mais toujours dans le respect du ou des kata de référence. Notons enfin que l’originalité des formes Oyo ne peut être étudiée et enseignée que par des experts ou Maîtres ayant une connaissance approfondie de tous les kata et de leurs applications dans toutes les directions (omoté – ura – go no kata – go no kata ura).

Sensei Kase, Lecourt, Dumont - Limoges (1995)
Sensei Kase, Lecourt, Dumont – Limoges (1995)

AG : Est-ce que Sensei Kase t’a montré ou enseigné des techniques particulières ou secrètes ?
PL : Si c’est le cas… Elles doivent le rester ! 😉

AG : A-t-il confié comme mission à certains de ses élèves la transmission de sa vision du karaté do, et comment poursuivre son travail et sa recherche ?
PL : Non, Sensei Kasé n’a laissé aucune consigne, si ce n’est de poursuivre l’entrainement… Je lui ai demandé un jour : “Sensei vous ne laissez aucun écrit, alors comment poursuivre votre enseignement et le transmettre aux générations futures ?” . Il m’a répondu cette phrase laconique : “seulement regarder ma photo et se souvenir”. Je crois maintenant que tout est dit dans cette phrase et que seul notre corps comprend cette réponse, lui qui a, comme une éponge, reçu tant d’années d’expérience dans cette voie…

Budo et enseignement

Pascal Lecourt et Taiji Kase - Luxembourg (1998)AG : As-tu pratiqué d’autres arts martiaux, et que recommandes-tu aux karatekas ?
PL : J’ai pratiqué le judo pendant trois ans, et pendant environ dix ans le Kyudo (tir à l’arc traditionnel japonais). J’ai posé la question un jour au Maître concernant la pratique d’autres arts martiaux en parallèle du karaté. Il m’a répondu que les arts qui développent les mêmes énergies (c’est-à-dire externe) sont incompatibles, mais que la fusion de deux arts dont les énergies se complètent peut être associée. Il faut retenir là que le Maître ne me faisait pas une réponse sur la forme (technique) mais sur le fond (les mécanismes internes propres à l’identité des Budo).

AG : Avec quels autres grands Maîtres as-tu eu l’occasion de t’entraîner ?
PL : Lors des stages où Sensei Kasé était présent, j’ai eu l’occasion de m’entrainer avec les Senseis : Enoeda, Myazaki, Shirai, Naito ou Kawasoe. Mais j’ai également rencontré des Maîtres éminents comme :
– Maître Suhara (au Japon en 1989) révérend du temple d’Enkakuji, en Kyudo
– Maître Otaké (au Japon en 1989 sur les conseils de Maitre Kasé), responsable du Tenshi Shoden Katori Shinto Ryu, en Iaïdo
– Maître Deshimaru, Zen (au début des années 80 à Paris)
– Maître Noro, Kinomichi (en 2003 à Paris)

AG : Depuis quand enseignes-tu le karaté, et peux-tu nous dire pourquoi ?
PL : J’enseigne comme professionnel depuis 1981. Tout d’abord à l’époque cela m’a permis de poursuivre ma passion au quotidien. Pour transmettre à mon tour une formidable valeur éducative qu’est l’école Kasé Ha. Mais surtout pour recevoir de mes élèves la réponse aux questions générées par la recherche de cet art, car l’enseignement ce n’est pas seulement donner, mais c’est aussi recevoir en retour. C’est un formidable échange humain.

Stage de karaté avec Sensei Kase - Andorre (2001)
Stage de karaté avec Sensei Kase – Andorre (2001)

AG : Peux-tu nous présenter ton club de Rouen, et les cours qui y sont dispensés ?
PL : Le dojo de Rouen est ouvert depuis 1985, et au 11 ter, rue de Fontenelle (dans le centre ville de la rive droite) depuis 2000. J’y organise des stages 6 fois par an, la plupart du temps un samedi (de 3 cours d’1h20) tous les deux mois. Mais aussi des stages de weekend fin juin et fin août. Il y a d’ailleurs des élèves de dojo de Colombes qui participent à ces stages. Au dojo les cours ont lieu 4 fois par semaine et un cours pour les ceintures noires spécial kata, toutes les 3 semaines environ.

AG : Quels conseils donnerais-tu aux pratiquants débutants, aux plus avancés, et aux professeurs ?
PL : Tout d’abord d’étudier rigoureusement la technique, puis lui donner toute la passion et l’énergie possible pour la faire exister, et ensuite, d’écouter son corps comme un partenaire idéal à l’enrichissement personnel. Aux ceintures noires, suivez votre professeur avec respect et fidélité. Aux enseignants, soyez honnête et respectueux dans votre pratique et votre enseignement. Et à tous, n’arrêtez jamais de pratiquer pour continuer à progresser ensemble, afin d’élever au plus haut votre niveau et d’emmener dans votre sillage tous les passionnés qui derrière vous vous regardent. Nous montrons tous la voie à suivre, alors respectons-la…

AG : Certains pratiquants ont des capacités physiques plus réduites (souplesse, âge …), peuvent-ils malgré tout s’épanouir dans le karaté ?
PL : Il n’y a pas de profil type pour pratiquer un art quel qu’il soit. L’adaptabilité est une force dans la vie. Chacun doit faire avec ses aptitudes.

La voie du karaté

Sensei Pascal Lecourt - Dojo de Colombes (2016)AG : Le karaté sera olympique en 2020 à Tokyo, que penses-tu du karaté sportif et crois-tu que cela aura un impact pour le karaté traditionnel ?
PL : Il est probable que l’aspect éphémère du karaté sportif (ce terme n’est pas péjoratif pour moi) amènera plus d’adeptes dans les dojos. A charge pour nous de promouvoir le karaté de toute une vie.

AG : Ton karaté a-t-il évolué au cours des dix dernières années, et si oui, sur quels aspects ?
PL : Sensei Kasé insistait et incitait à la recherche personnelle. Alors depuis son décès, et tout en gardant les racines qu’il a su développer en moi, je travaille beaucoup sur un karaté plus profond encore, axé sur les mécanismes humains qui s’expriment à travers la technique. Le mouvement est pour moi le langage du corps d’où s’exprime la nature humaine. C’est donc un vrai support d’étude et de travail, et d’une richesse intérieure inépuisable.

AG : Tu dispenses des stages à l’étranger, peux-tu nous parler de ta transmission du style Kase à travers ces séminaires ?
PL : Enseigner à l’étranger est un vrai privilège, car il me permet de croiser d’autres cultures, et que ce soit en Australie, Israël, Cambodge ou bien en Europe, il est intéressant de voir que l’être humain à toujours les mêmes mécanismes, même s’il ne les exprime pas toujours de la même façon. Finalement la pratique et l’enseignement, tels que je les ai déjà décrits lors de mes différentes réponses dans cet interview, restent identiques et par conséquent le message est le même pour tous.

AG : Pascal, merci encore pour ta disponibilité. Souhaites-tu ajouter quelque chose pour nos lecteurs ?
PL : Sensei Kasé disait : “la vie c’est le karaté, le karaté c’est la vie”. Alors je dirais simplement de regarder et de pratiquer d’abord le karaté comme un Budo, puis comme un Art.

Chez Maître Taiji Kase (2003)
Chez Maître Taiji Kase (2003)

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Auteur de l'article

Antonio Guerrero
Professeur de Karate
6ème Dan - BEES 2

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